Dernier week-end d’Août.
Derniers jours pour profiter de la douceur des vacances. Lundi, ce sera la rentrée, la reprise du quotidien, des horaires à respecter. Je suis dans l’attente de mes règles depuis quelques jours, mais cela ne m’inquiète pas plus que cela. Depuis quelques mois, mon cycle est complètement anarchique. Mon gynécologue n’a pas d’explication. Etonnamment, cela coïncide avec le moment où j’ai commencé sérieusement à vouloir un enfant. Et si c’était dans ma tête ? Mais mon compagnon n’est pas prêt, pas question de lui forcer la main, alors je continue à prendre la pilule, même si chaque matin je la maudis en silence.
En faisant les courses, j’achète quand même un test de grossesse comme à peu près chaque mois cette année. Et comme à chaque fois, je sais que mon compagnon sera rassuré et que de mon côté, j’essuierai quelques larmes enfermée dans les toilettes.
Sauf que… A la seconde où je fais pipi sur ce bâton, je sais que cette fois tout sera différent. Le délai d’attente est inutile. Déjà les deux bandelettes se colorent, se dessinent. Elles sont là, bien visibles. Il n’y a aucun doute possible. Une vague de joie me submerge. Immédiatement, je me sens protégée, comme enfermée dans un cocon bienveillant. Je ne sais pas encore à cet instant quelle force tu vas me donner, mon fils.
Mais tout de suite après l’angoisse me terrasse. Il va falloir sortir des toilettes et le dire au futur papa. Trois mots plus tard …il a quitté la maison. Il reviendra quelques heures plus tard, sans dire un mot. Pourtant, en moi, l’espoir renait. Ce n’était peut-être que le choc de l’annonce. Quelques jours plus tard, nous avons rendez-vous chez le gynécologue. Peu avant le rendez vous, il m’annonce qu’il ne m’accompagnera pas et que je dois dire au médecin que je veux avorter. Je suis bouleversée, désorientée. Je me rends seule au rendez-vous en ne parvenant pas à expliquer la situation au gynéco. Et puis vient le moment de l’échographie et le son de ce tout petit cœur qui bat. Et là tout devient soudain très clair. Il n’y a pas de choix à faire. Tu es là mon bébé, tu as choisi ta place, tu m’as choisi comme maman, alors je le deviendrai, avec ton papa ou sans. Je rentre à la maison. Ma décision est prise. Je la sais irrévocable. Je porte la vie et je ne me pardonnerai jamais de m’en défaire. La décision de ton papa aussi. Il a fait ses valises pour ne plus jamais revenir. Jusqu’au délai légal, il me harcèlera pour que j’avorte. En vain.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, je garde de ma grossesse un magnifique souvenir, une sensation d’apaisement, de sérénité et de force. Pour mon bébé je me sens prête à soulever des montagnes. Bien sûr, il y a quelques moments plus difficiles, un fort sentiment de solitude, surtout le week-end quand tout le monde est occupé, en famille.
A quelques semaines de la fin du terme, mon bébé est toujours en siège. Une césarienne est programmée. Bien qu’un peu déçue, cela me rassure. Au moins, je suis certaine que ma maman sera là avec moi et que je ne me retrouverai pas seule en pleine nuit à devoir me rendre à l’hôpital. Mais la vie réservant toujours son lot de surprises, une semaine avant la césarienne, un mois avant le terme, je perds les eaux en pleine nuit. J’appelle la maternité qui me dit de ne pas me presser mais qu’il faudra venir dans l’heure. Il est 3h du matin, j’appelle ma maman, tout à coup, j’ai tellement peur, je suis une petite fille morte de trouille, je commence à avoir mes premières contractions, je prie pour qu’elle me réponde, car j’ai l’impression que je n’y arriverai pas toute seule. C’est la première fois que je comprends que je suis une maman solo, qu’il n’y aura jamais personne pour m’épauler dans cette aventure de la parentalité. Je regarde ce lit vide et je voudrais tellement qu’il y ait quelqu’un à l’intérieur à qui je puisse dire « C’est le moment, il faut qu’on parte. » Et puis comme un petit miracle : la voix de ma maman, je lui explique tout, la voix tremblante. Son instinct maternel l’avait prévenue avant mon appel, ça fait une heure qu’elle n’arrivait plus à dormir. Elle arrive, je suis sauvée.
Partager cette naissance avec elle reste un souvenir incroyablement doux et émouvant. Elle pleure, je pleure, et IL pleure. Petit garçon qui en un regard a bouleversé ma vie.
C’est lors de notre première nuit ensemble, toi profondément endormi te remettant de tes émotions de la journée, moi te bouffant des yeux, trop angoissée et à la fois trop excitée pour pouvoir dormir, que je prends conscience de la responsabilité qui est devenue la mienne. Je suis ta maman, je suis ton seul parent, je serai seule pour t’accompagner sur le chemin de la vie. Est-ce que je vais y arriver ? Suis-je assez solide ? Et puis, tout à coup, la tristesse s’empare de moi, alors que j’avais toujours réussi à la maintenir éloignée de nous pendant la grossesse. Les questions affluent et les larmes coulent : Pourquoi n’a t-il pas voulu de toi ? Comment peut-on ne pas vouloir te connaître, t’aimer ? Je ne comprends toujours pas aujourd’hui pourquoi c’est à cet instant que tout a basculé, alors que j’aurai dû être au comble du bonheur, mais c’est ainsi.
Les trois premiers mois sont très difficiles : tu as des reflux, tu dors très peu, tu pleures beaucoup. Je ne dors pas et pleure beaucoup. Il n’y a pas une seconde où je peux relâcher la pression. Je me coupe du monde, je ne veux plus voir personne, sauf ma famille très proche qui ne sait plus quoi faire pour m’aider. Au bout de ces trois mois, je m’effondre dans la salle de bain de ma maman en hurlant que je ne suis pas assez forte pour m’occuper de mon bébé. Je n’en peux plus. Pendant quelques jours, je reste chez elle, elle prend le relais quand mon fils pleure trop, se lève la nuit pour me soulager. Je reprends quelque s forces avant la reprise du travail.
Cette reprise que je redoutais tant sera finalement ce qui nous sauvera. Mon fils passe ses journées avec une nounou formidable, sereine et apaisante, tout le contraire de sa maman. Elle lui donne un rythme, et à 4 mois et demi, enfin, nous parvenons à dormir 4 à 5 heures d’affilée. La fatigue est toujours là, bien-sûr, mais je renais.
Quelques semaines plus tard, bébé a alors 5 mois, je suis invitée aux 30 ans d’une amie d’enfance. Ma maman doit garder mon fils. Dès qu’elle quitte la maison, je m’allonge sur le canapé et me réveille 2h plus tard. Il est l’heure de partir, mais tout à coup je n’ai plus du tout envie d’y aller. Je suis fatiguée, je ne vais connaître personne et je ne me sens pas assez en forme pour faire la conversation à des inconnus. Et puis y aller voudrait dire s’habiller, se maquiller, prendre la voiture. Rentrer tard et perdre encore de précieuses heures de sommeil. Je ne peux pas. Je suis déjà en train de chercher une excuse bidon pour mon amie, quand une petite voix m’encourage, il faut y aller, il faut sortir, il faut reprendre ta vie en main. Guidée par cette petite voix, qui sans que je le sache encore, va transformer mon destin, je quitte la maison.
Cette soirée se passe à merveille. Les gens sont sympathiques, bienveillants. Et puis il y a ce gars là, qui ne semble pas être de très bonne humeur, mais qui pourtant m’attire. On discute un peu, on se sourit. Et puis ça s’arrête là. Il s’en va. Sur le coup, je suis un peu déçue, mais je sens que je dois aller plus loin. Alors le lendemain matin, je décide de lui écrire (merci les réseaux sociaux qui permettent de retrouver n’importe qui !) et je me lance. Bingo ! On décide se voir la semaine suivante. Il sait déjà que j’ai un fils et je profite de notre 1er rendez-vous pour mettre les choses à plat. Je joue cartes sur table et je sais que le risque est grand qu’il parte en courant, mais tant pis, je n’ai pas de temps à perdre. Je n’ai pas envie d’une histoire où on se retrouverait au lit dès que j’aurai l’occasion de faire garder mon fils. Je veux une vraie histoire avec quelqu’un qui accepte mon statut de maman solo. Pour autant, je ne lui demande pas de prendre la place du père. Je suis seule à porter cette responsabilité et je l’assume. Mais il ne part pas en courant. Bien au contraire.
Aujourd’hui, 3 ans plus tard, mon fils l’appelle papa. Ils se sont adoptés mutuellement et ont construit une magnifique complicité. Mon fils est un petit garçon épanoui et plein de vie. Il connait son histoire et parle de temps en temps du monsieur qui a donné la graine et qui a eu peur quand la graine s’est transformée en bébé. Il reste cependant un petit garçon anxieux qui nous demande souvent « Maman, papa, ça va ? » et lors des séparations « Vous allez revenir après ? ». Cet abandon, même in utero, a laissé des traces que nous tentons d’apaiser avec tout notre amour.
J’avais envie d’écrire cette histoire pour toutes les mamans solo, pour vous redire à quel point vous devez être fières de vous et pour vous insuffler un peu d’espoir. Votre vie de femme n’est pas terminée. Une belle histoire vous attend quelque part. Et dans tous les cas, ne doutez jamais de vous, vous êtes extraordinaires.