J’ai mis beaucoup de temps pour écrire ce témoignage. J’ai « fée, dé-fée, re-fée » fatiguée de faire. Je n’étais pas sûre de le vouloir. Enfin si. Ce dont je n’étais pas sûre, c’était de pouvoir le faire. Être capable d’évoquer la période la plus difficile de ma vie, la plus éprouvante, la plus douloureuse. Je me suis donnée le droit de ne pas être prête. Et puis un matin, j’ai pris ma plume. Tout en douceur. Tout en larmes aussi. Mais fière de moi.
Je suis la mater dolorosa.
L’angoissée de service. La nana bourrée de tocs, de craintes, de culpabilité permanente. La louve qui protège ses petits. J’aime prévoir, anticiper, gérer. Ça me sécurise. C’est comme ça. Je me suis faite comme ça. J’ai survécu à ce qui m’a servi de mère jusqu’à 15 ans comme ça.
J’ai toujours voulu être mère. Alors quand je suis tombée enceinte de ma fille, il y a 5 ans, j’étais aux anges. Une grossesse en mode licornes et papillons. Tout était prévu, tout était prêt. Surprise du sexe, naissance à terme, beau bébé de 3k120, projet de naissance, accouchement par voie basse, allaitement exclusif de 6 mois. Bon elle a quand même fait ses nuits à 3 ans… oui 3 ans, tu as bien lu. Big up à mon sommeil. Cœur cœur sur mon corps fatigué.
Notre relation est fusionnelle (trop selon mon entourage), complice… je suis devenue moi en lui donnant la vie. On est d’accord que ce n’est pas rose tous les jours hein ! Toi-même tu sais : le créneau 18/20h ici ça ressemble à Apocalypse Now ou la guerre des tranchées. Le gueuloir de Baudelaire chez nous c’est du pipi de chat.
On s’est posé beaucoup de questions pour faire le deuxième. On le fait ou pas ce garçon ? On en avait envie, la petite allait sur ses deux ans et demi. On s’est lancés.
Premier cycle. Première ovulation. Enceinte. Surprise numéro 1.
Echo de datation. 2 œufs. Deux bébés. PLS sous le bureau de la gynéco. AVC de mon mari. Surprise numéro 2 X2
Put*** de M****. Deux bébés.
Comme Obélix dans la potion magique, je suis tombée dans le monde de la gémellité. Association, réseaux sociaux, livres, blogs… J’ai tout lu, tout écouté, pris tous les conseils logistiques existants sur la planète pour tout préparer, tout organiser, tout gérer, tout nous faciliter, tout, tout, tout.
TOUT
Sauf la poche des eaux d’un des bébés qui se perce à 5 mois et 3 semaines de grossesse.
Pendant les 6 jours d’hospitalisation en grossesse patho, je n’ai pas pensé une seule fois au risque d’accouchement prématuré. Le 2ème jour, je participais à l’atelier couture du CHU, les sages-femmes me cherchaient partout dans le service. Inconsciente que j’étais. Mon mari m’avait apporté toute la maison, vu que j’allais rester au moins deux mois ici. Enfin c’est ce que je croyais.
Les bébés allaient bien… Moi, tout ce qui me contrariait c’était que ma fille ainée et mon mari soient sans moi, leur manque était terrible. Que je n’avais pas encore fini les préparatifs et que j’allais donc devoir déléguer à distance. Et que je ne pourrai pas voir tout de suite la pose de notre nouvelle cuisine.
J’ai accouché le 6ème jour. A 27+6.
Je n’ai rien vu venir. Ni les contractions que je pensais être des douleurs au ventre car je n’arrivais pas à aller aux toilettes depuis quelques jours. Ni la césarienne d’urgence en mode « on joue deux petites vies ». Dilatation complète en moins de 2h sans péridurale. Une rachi anesthésie posée à 10, réussie grâce à une merveilleuse sage-femme qui avait plongé ses grands et doux yeux bleus dans les miens pour m’encourager dans la douleur.
Ni que personne ne me rendrait jamais tous ces premiers moments de vie tant attendus. Je ne me souviens pas d’avoir vu mon deuxième bébé. J’ai juste aperçu le premier. Le SMUR pédiatrique les a emportées tout de suite. J’étais en état de choc, en larmes et je me vomissais dessus.
Deux petites filles.
955 grammes et 1kg030.
Mes bébés pesaient moins que les 10 steaks surgelés bio dans mon congél. Bienvenue dans le monde de la très grande prématurité.
Je me suis longtemps accusée de n’avoir pas pris cette grossesse comme j’aurai du. D’avoir mérité cette finalité. J’ai entendu des « inconsciemment, tu l’as peut être provoquée, cette situation », « c’est très fréquent chez les jumeaux », « tu ne t’es pas assez écouté, tu en as fait trop comme d’habitude ».
J’ai vu mes filles au bout de 24h de vie… Elles étaient en réanimation pédiatrique. Service sombre et silencieux. Les seuls bruits sont ceux des machines et des bips intempestifs qui vous terrorisent dès qu’ils s’enclenchent et que des blouses vertes s’agitent dans tous les sens.
Elles étaient séparées, traitées médicalement comme deux êtres différents au cas où la finalité soit différente…
Nous allions retenir nos souffles pendant 77 jours. Je n’ai jamais autant souffert de ma vie. Je n’ai jamais autant pleuré.
Etre la maman de bébés prématurés, c’est apprendre la patience, c’est vivre la douleur sans nom de quitter la maternité sans ses enfants, c’est accepter de vivre des premières fois différentes et à retardement, c’est vivre avec la culpabilité de ne pas avoir su garder ses bébés au chaud, de les avoir obliger à se battre si petits.
C’est avoir peur, tout le temps, nuit et jour, jour et nuit. Quand on arrive à l’hôpital. Quand on en part. Quand le téléphone sonne. Avoir peur de la mort. De ne pas arriver à temps.
Se redresser devant les progrès. S’effondrer devant une rechute. Se féliciter quand bébé prend 20 grammes. S’autoriser à penser qu’un jour nous allons les ramener à la maison et leur présenter leur grande sœur. Expliquer à une petite fille de 3 ans et demi qu’elle ne peut pas voir ses sœurs et qu’à Noël elles seront toujours à l’hôpital.
Être la maman de bébés prématurés c’est accepter que des dommages irréversibles puissent s’inviter au voyage. C’est faire confiance aux soignants qui s’occupent de nos enfants à notre place. Ils ont été si bons avec elles, avec nous…. Il n’y a pas un jour où je ne pense pas au service de réanimation pédiatrique du CHU de Purpan à Toulouse. C’est faire face aux bradycardies, aux transfusions, aux soins techniques, au vocabulaire médical aussi inconnu que terrifiant. C’est ne pouvoir prendre son enfant dans ses bras que quelques heures par jour, avec l’aide du personnel médical.
Nous avons été en pilote automatique pendant 77 jours. C’est long 77 jours. Je n’ai jamais été aussi forte et aussi déterminée de ma vie.
Et puis un jour la sortie. Et finalement la peur de sortir, enfin et de ne pas s’en sortir. Quelle contradiction…
Mes filles ont 19 mois aujourd’hui et aucune séquelle irréversible due à leur naissance précoce. Nous avons eu tellement de chance. Chaque jour je remercie la vie de m’avoir donné la force et le courage. Nous avons été tellement entourés…! Chaque jour je remercie la vie de nous avoir épargner.
Je pense si souvent aux parents qui n’ont pas eu notre parcours, à ceux qui le vivent actuellement. Je voudrais tant que notre parcours soit le même pour tous les parents et tous les bébés qui passent par là.
Croyez en vous, croyez en vos bébés, ce sont des guerriers, des vrais.
Merci à toi la fée fatiguée. Merci pour tout.