Chère Fée Fatiguée,
Je me décide enfin à t’écrire et à poser ces quelques mots pour les partager avec les autres. À la manière d’une thérapie, peut-être que cette initiative va m’aider à ne plus culpabiliser pour mes premiers instants fort maladroits de maman et peut-être aider d’autres personnes, qui sait ! Voici donc mon histoire.
J’ai eu une grossesse idéale, trop parfaite même selon moi. Hormis quelques soucis d’hormones qui te font pleurer comme une madeleine pour rien au 7ème mois de grossesse ou une petite fuite urinaire alors que tu rigoles, je n’ai ressenti que du bonheur à préparer et attendre l’arrivée de notre premier enfant. Même la sage-femme, auprès de qui j’ai pris les cours de préparation à l’accouchement, m’avait trouvé épanouie et plutôt positive face au grand chamboulement à venir.
Et puis vient l’accouchement dans un hôpital de Haute-Marne. Une petite ville éloignée de tout et de rien, loin de nos familles, une région qui n’est pas ma région d’adoption étant toulousaine mais j’ai suivi mon amoureux dans sa nouvelle prise de fonction.
Mon fils est arrivé après le terme, à J+3 dans le jargon médical dont 2 jours à avoir des contractions non régulières qui t’empêchent de dormir. Deux jours pendant lesquels le docteur te serine qu’il faut laisser faire la nature et pourtant, tu sais toi que tu es sans force, complètement KO et que, quand viendra le temps du « poussez madame », tu seras plutôt en train de ronfler et de comater que d’essayer d’amener ce petit être à la vie. Et cela a été malheureusement le cas ! Avec la pose de la péridurale, j’ai effectivement comaté surtout qu’ils ont surdosé le produit pendant tout l’accouchement. En fait, quand j’y réfléchis, et parfois j’en rigole avec mon mari, je n’ai fait que dormir, ronfler et pousser de temps en temps à la demande de la sage-femme. Car il faut être honnête, j’étais tellement shootée que je ne ressentais plus rien, plus une seule contraction. Je poussais parce qu’on me le demandait. Petit bout a mis du temps à venir et il a fallu que cela soit l’anesthésiste qui m’explique comment bien pousser car la sage-femme, elle, s’énervait après moi. Victorin est enfin arrivé, on me l’a posé deux secondes sur le ventre, le temps de le voir me fixer de son œil noir, presque un regard de colère, puis plus rien. Ils l’ont emporté très vite pour effectuer une réanimation.
Problème cardiaque oblige, ils ont dû le réanimer 3 fois, le « tuer » trois fois selon les mots des infirmières, afin que son rythme cardiaque se stabilise.
Pendant tout ce temps, long, très long même, je suis restée seule dans la salle de naissance, les jambes écartées, désemparée, dans le silence le plus complet. Je guettais le moindre mouvement, le moindre son, tout en priant pour que tout aille bien pour mon fils. Après 9 mois à être le centre du monde, la chute a été rude. Plus personne autour de moi, plus de bébé dans mon ventre, plus rien. Mon mari est resté auprès de notre fils le plus longtemps possible puis est revenu au bout d’interminables minutes pour me dire que notre fils était en service de « néonatalogie » et qu’il allait être transféré dans un autre hôpital, loin de là. Une fois mes soins terminés, et avant que mon fils ne parte pour Nancy par ambulance, on m’a emmené le voir. Comment vous dire ? Je n’ai rien ressenti. Je l’ai regardé sans émotions, sans larmes, sans rien. La connexion qui peut se faire dans les premières secondes après la naissance n’a pas eu lieu et ce bébé n’était pas MON bébé, tout au plus un nouveau-né dans une couveuse branché de partout. Je n’arrivais pas à faire le lien entre le bébé que j’attendais et cet inconnu et ce manque de lien a duré plus de 6 mois.
J’ai été, moi aussi, transférée à l’hôpital mère-enfant de Nancy afin d’être près de mon fils. Cela reste un moment terriblement douloureux et culpabilisant car, j’avais en face de moi, dans la couveuse, un bébé relié à des machines qui bippaient toutes les secondes et je ne ressentais rien. Pas d’envie de le toucher, d’interagir avec lui, de le caresser, rien. Le premier peau à peau qu’il a eu a été avec son père car j’ai refusé de le prendre dans mes bras. Je lui ai donné son premier bain plusieurs jours après mais j’étais en mode automatique, je n’y ai pris aucun plaisir. Là encore, pendant mon séjour à Nancy, j’ai été seule car mes parents venus pour l’occasion et mon mari sont restés à Chaumont. Ils sont venus me voir, j’ai fait bonne figure, j’ai pris ces quelques heures comme une bouffée d’air frais mais, une fois que je pouvais arrêter les sourires de façade, je craquais totalement. Avec la chute des hormones et la situation émotionnelle en plus, je ne vous dis pas l’état mental dans lequel j’ai pu être. Quand j’essayais d’être une maman, j’étais maladroite. Je n’arrivais pas à « tirer mon lait » tellement psychologiquement j’étais faible. Mettre un body à mon fils se révélait être une épreuve de Koh Lanta, un casse-tête chinois insoluble. Ces premiers moments ont été une véritable catastrophe et ces échecs à répétition ne m’ont pas aidée.
J’ai réintégré le domicile familial quelques jours plus tard, à la demande de mon mari qui a senti que je partais en vrille. Et cela a été la meilleure décision de ma vie. Même si je me sentais déchirée par l’idée de laisser mon fils seul, j’ai pu reprendre des forces grâce au soutien de mon mari et de mes parents venus de Toulouse spécialement pour l’arrivée du petit. Je n’étais plus une maman mais à nouveau une enfant ayant besoin d’être réconfortée, soignée, chouchoutée.
Nous avons pu récupérer Victorin trois semaines plus tard. Le choc à nouveau. Je suis devenue maman mais au sens logistique du terme : préparer les biberons (coupure des montées de lait instantanée grâce à mon état psychologique), donner le bain, le changer, etc. J’ai pourvu aux besoins de mon fils simplement parce que je le devais. Est-ce que je l’aimais à ce moment là : non ! Cela a duré 6 mois puis, petit à petit, nous nous sommes tous les deux apprivoisés. Quand ? Comment ? Impossible à dire mais, par sa présence, ses sourires, ses pleurs, son besoin de moi, peu à peu, notre relation s’est tissée et Victorin est devenu indispensable à ma vie, tel l’oxygène qu’on respire. Il m’a appris à devenir maman, à être maman et à me ressentir comme telle. Nous avons aujourd’hui une très belle relation, complice, où nous nous apprenons mutuellement des choses. Du haut de ses trois ans, il m’aide à me construire, à évoluer et je l’aide, comme je peux, avec mes forces et mes faiblesses, mes imperfections, à devenir un petit bonhomme joyeux et heureux.
Au final, cette expérience reste positive donc, si je devais recommencer, je ne changerais rien car aujourd’hui, je suis heureuse. Mon mari a été un soutien exceptionnel et je l’aime aussi d’autant plus qu’il a su m’épauler chaque seconde. Idem pour mes parents, pour ma maman notamment à qui j’ai seriné plusieurs fois au début que je n’aimais pas Victorin et qui a continué à m’épauler, inconditionnellement et sans jugement.
Merci à toi Fée Fatiguée pour ton blog, pour tes articles qui montrent que nous sommes tous imparfaits et que l’important c’est d’aimer (euh, cette référence musicale est involontaire) !